VLADAN KREČKOVIĆ
Le sanatorium
La vue depuis sa fenêtre
était semblable à un polaroid usé.
Un code-barre en sfumato
le pin-le sentier-le pin-le sentier-la clôture.
Chaque jour, des tâches de Rorschach
s’en échappaient comme toute vérité,
et annonçaient de nouvelles prophéties,
péniblement et à contrecœur,
alors que l’infirmière
enchaînait les notes comme dans une chanson,
un autre type d’évangile.
Seule la forêt était restée paisible
et parmi les arbres, il ne se souvenait plus
de la ville en ruine,
de la télépathie du tireur d’élite,
de la nervosité des chenilles de chars.
Et plus il s’aventurait dans l’ombre
plus clair devenait
son épître :
« Au troisième jour ressuscita le Christ
et pris la route le long du Golgotha
en direction de la cohorte de Romains,
tout en armant sa Kalachnikov. »
TINO DEŽELIĆ
Tomislav
Quarante ans d’ancienneté
- le service de nuit, les enterrements, la guerre,
mais aucun arrêt maladie
Quand on se lève
nous prenons notre café et nourrissons les chats sur la terrasse
le vieux sait se taire, tout comme sa mère savait le faire
en réalité, lui, est très bavard
mais quand on lui en donne l’occasion, il ne parle plus
nous nous asseyons sur le canapé, étendons nos jambes
moi, je lis ou j’observe ce qu’il se passe de l’autre côté de la fenêtre
lui regarde un film d’action
Un jour il m’a dit que trois vies ne lui suffiraient pas
pour accomplir ce que j’ai accomplis en vingt-cinq ans
de poursuivre mes projets
et de ne jamais perdre le Nord
Parfois, je regarde sa barbe chenue
et je pense au nombre de fois qu’il a dû perdre le Nord
je ne lui avouerai jamais ma peur
que je suis si peu présent
car je sais que je ne peux être l’homme qu’il est
Octobre est pluvieux
nous vivons toujours les mêmes matins et je ne peux imaginer meilleure récréation
ni les femmes
ni Amsterdam
ni un sac sur le dos quelque part au beau milieu de la Mongolie
le vieux se lève
il ne se soucie pas de ce que j’écris et ne se penche pas sur l’écran
il me serre l’épaule et reprend sa place à table
roule une cigarette et adresse à son cocker sa dose quotidienne de tendresse
j’aimerais le serrer dans mes bras mais nous n’avons jamais appris à le faire
Je pars pour un long voyage et lui ne se doute de rien
il se lèvera tôt le matin
aux alentours de dix heures préparera deux tasses accompagnées de quelques monologues
ouvrira les rideaux et de sa paume passera sur le canapé
dans le silence il observera les aiguilles signaler ma nouvelle absence
Il nourrira les chats
et regardera au loin par la fenêtre tout en caressant sa barbe chenue
MILENA RADEVIĆ
Les oranges
Il a planté un verger
Une centaine d’orangers
Il dit que cela pourrait me plaire
Il lui semble déjà
que de la maison émane une odeur
de peau, de pulpe
couleur orange
Dans les armoires sont suspendus des sacs
et en eux, des zestes
pour que les manteaux en soient imprégnés
Il assure que je suis un artiste,
et les artistes aiment les fruits
Les oranges sont poétiques
Il promet que nous allons boire du thé
et déguster des biscuits à l’orange
sous le porche, au crépuscule
Il me connaît enfin
Et ne souhaite que mon retour, il le sait désormais
Il colorera mon monde en orange
Je lui dis-
Que depuis toujours
et plus que tout au monde
pour leur couleur, leur goût et leur odeur
et pour une centaine de raisons vitaminiques
je déteste les oranges
LUKA BOLJEVIĆ
Sous le beau Danube céruléen
mon père est gelé
à Novi Sad
sous le Danube
sur la table de Noël
un cierge et une chaise vide
nous avons honoré sa mémoire en
partageant un morceau de pain
quelqu’un a prié pour mon père
je pense que ça ne sert à rien d’attendre
« Nous pouvons manger » dit ma mère